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Le don spontané

  • Photo du rédacteur: Agenc'MondeS
    Agenc'MondeS
  • il y a 6 jours
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : il y a 24 heures

Le 5 décembre 2024, à L’Atelier (SSM D’Ici et d’Ailleurs, Molenbeek), s’est tenu le troisième volet de la série de séminaires « Penser, cultiver et transmettre l’héritage des ancêtres marocains en pratiques de soin ». Organisé par Agenc’MondeS et soutenu par PCI et le SSM, ce rendez-vous a réuni seize professionnel·le·s œuvrant dans l’accueil des migrant·e·s et la santé mentale pour explorer la sadaqa, ce don spontané qui allie hospitalité et soin.


Un cadre unique pour repenser les liens

La soirée a débuté à 18 h, sous l’égide d’Abdelillah Esdar et d’Olivier Ralet. Après un mot de bienvenue rappelant le 60ᵉ anniversaire des accords Belgique-Maroc et l’ambition du projet initié en 2023, les organisateurs ont annoncé un mini-concert gratuit avec Hicham Bilali et les Black Koyo – une invitation à prolonger la réflexion par la musique et le partage.

Le premier tour de table a donné la parole aux participant·e·s : chacun·e a expliqué la symbolique de son prénom, son parcours, ainsi que le contexte de son institution (Entr’Aide des Marolles, Résidence Le Château d’Or, CHU Saint-Pierre, etc.).


La sadaqa : une hospitalité « déterritorialisé »

Olivier Ralet a rappelé la distinction, en islam, entre zakat (l’aumône obligatoire) et sadaqa, don libre et spontané. Cette sadaqa prend mille formes :

  • repas partagés pour rompre l’isolement ;

  • iftar offerts à l’occasion du ramadan, ouverts à tous ;

  • distributions de repas aux détenu·e·s ou aux plus précaires durant la pandémie de Covid-19 ;

  • aide d’urgence aux victimes de catastrophes naturelles.

À l’instar des Restos du Cœur, la sadaqa peut s’exprimer de façon laïque : elle conjugue hospitalité et générosité hors des cadres traditionnels, libérée de toute obligation. Par l’acte de nourrir l’autre et l’invocation (niyya) qui l’accompagne, elle rappelle notre appartenance au Vivant : al-Hayy (un des 99 noms de Dieu), le Vivant, et al-Karim (un autre des 99 noms de Dieu), le Généreux.

S’inspirant des travaux de Bruno Latour, Olivier a évoqué la figure des « Terrestres poreux interdépendants », qui partagent pain et plats, assis par terre, doigts mêlés, incarnant une liberté collective face au mythe de l’autonomie moderne. La sadaqa apparaît alors comme un véritable « dispositif de soin », à la fois rituel et relationnel, qui guérit par l’influence bienveillante décrite par Tobie Nathan.


Témoignages : la force du vécu

Fatima Maher Alaoui – soins holistiques et transformation

Dans un entretien réalisé le 8 juillet 2024, Fatima Maher Alaoui (ASBL L’Héritage des Femmes) a partagé ses pratiques de soins héritées du Maroc : hijama, roqia, purifications à la sauge, massages, remèdes culinaires à base d’origan ou d’artemisia… Elle évoque la quête de remèdes naturels et l’importance du collectif, à travers la kinésiologie ou les constellations familiales.

Fatima organise un repas gratuit tous les mardis à Saint-Josse (sadaqa par excellence). Elle mène un projet d’économie sociale « Sesam ». Elle organise aussi des ateliers divers, « les ateliers du bonheur ». Par ailleurs, Fatima Maher est très engagée dans l’aide aux victimes de catastrophes (comme les tremblements de terre en Turquie et au Maroc, et d’autres activités d’entr’aide dans le cadre de l’association « Héritage des femmes »). Avec des amies, elle va à la rencontre de personnes âgées isolées, qui ont honte de s’adresser aux services sociaux, et de ce que leurs enfants ne les aident pas, comme le voudrait la coutume.

Un film documentaire a été réalisé sur Fatima Maher Alaoui : « Fatima, une vie de militante » (Le film dévoile le long parcours d'une femme, une mère, une militante, une actrice sociale à travers une série des interviews, témoignages, photos et vidéos, par Mohamed Dabani).

Son récit le plus poignant : l’histoire d’une mère bruxelloise, fière de son enfant autiste devenu récitant du Coran, transformant un handicap en puissance d’agir.

Fatima Maher
Fatima Maher

Fatima Zohra Khatri – le restaurant solidaire Cassonade

Elle est descendante par sa mère de Moulay Abdessalam ben Mchich, saint soufi du 12e-13e siècle. Un de ses grands-pères était imam, l’autre appartenait à la confrérie soufie Tijaniyya, ses parents ont vécu à Meknès, elle est arrivée en Belgique à 7 ans. Sa mère était illettrée, ses paroles étaient douces, lumineuses ; son père, maçon, était illettré également, et avait « les mains ouvertes » (il faisait le bien). Elle a rejoint la voie soufie Qadiriyya Boutchichi, bien implantée à Bruxelles, et en a été un temps « moqademma » (ici dans le sens de représentante locale du Cheikh, à l’époque Sidi Hamza).

A la suite de repas distribués pendant le covid (façon de se reconnecter aux autres), Fatima Zohra Khatri est à l’origine, avec deux amies et un ami, du restaurant solidaire Cassonade, à Molenbeek (Rue de Courtrai 47). Pendant le ramadan 2021, elles préparaient 300 repas jours, pour les sans-abris, les personnes âgées ou sans papiers.

Le principe, basé sur une économie de don, en est que le repas qu’on y prend est offert par quelqu’un (anonyme) ayant mangé plus tôt ; en sortant, on offre son repas à une personne suivante. Aucun montant n’est fixé, chacun l’évalue librement.

Le principe de la sadaqa, pour Fatima Zohra, est de donner à des inconnus et de recevoir d’inconnus, comme l’inspir et l’expir. La joie de vivre et l’entraide agissent mieux que des médicaments : le don, c’est le soin.

Fatima Zohra Khatri (Photo par Abdelillah Esdar)
Fatima Zohra Khatri (Photo par Abdelillah Esdar)

Ibrahim Errami – commerçant de bien-être et rites berbères

Ibrahim Errami partage son héritage chleuh du Souss : souvenirs de l’argan torréfié, du tagoula au miel, du cercle où l’on sert et reçoit. Fondateur d’Argan Souss, il vend encens, pierres et cosmétiques à base d’huile d’argan, et transmet des pratiques protectrices contre le mauvais œil : l’œuf ritualisé, le sel purificateur, la chaleur appliquée pour chasser la peur.


Réflexions collectives et perspectives

Après ces présentations, la discussion a porté sur les histoires personnelles de dons spontanés – récits émouvants d’entraide au quotidien. Les participant·e·s ont échangé sur les manières de penser, cultiver et transmettre ces pratiques : quelles passerelles tisser entre savoirs ancestraux et dispositifs contemporains de soin ? Comment faire de la générosité un levier durable d’inclusion et de résilience ?


Conclusion : faire du don un acte de soin

En clôture, à 21 h, chacun·e est reparti·e avec une conviction renforcée : la sadaqa spontanée n’est pas un simple geste charitable, mais un véritable soin social. En semant le don dans les liens qu’elle tisse, elle nourrit le corps, le cœur et l’âme. Cultiver cette générosité, c’est s’engager à soigner l’autre – et soi-même – dans l’interdépendance et la solidarité, à Bruxelles comme ailleurs.

 
 
 

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