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Soins juifs et musulmans au Maroc : le Verbe fait chair

  • Photo du rédacteur: Agenc'MondeS
    Agenc'MondeS
  • 18 juin
  • 3 min de lecture

Dernière mise à jour : 23 juin

Le quatrième séminaire de l’Atelier SSM D’Ici et d’Ailleurs, tenu le 5 décembre 2024 à Molenbeek, a réuni quinze passionnés autour d’un thème fascinant : les pratiques de soin chez les communautés juive et musulmane du Maroc. Animé par Abdelillah Esdar et Olivier Ralet, l’événement a notamment accueilli Paul Dahan, psychanalyste et directeur du Centre culturel juif marocain. Retour sur un échange riche en histoires, en questionnements et en transmission d’héritages millénaires.

Paul Dahan (Photo par Olivier Ralet)

Un cadre chaleureux et un premier contact

Dès 18 h, les participants se sont présentés, évoquant la signification – parfois mystérieuse – de leur prénom. Chacun découvre alors que derrière un nom se cache une histoire familiale, une promesse ou un souvenir. Abdelillah Esdar a ensuite introduit Paul Dahan, natif du Tafilalet et fin connaisseur des traditions mystiques marocaines, dont la famille s’illustre depuis longtemps dans la transmission des savoirs du Royaume.


Héritages métissés et spiritualités croisées

Paul Dahan a ouvert le débat en rappelant la mosaïque des influences qui ont façonné le Maroc : Berbères, Juifs d’Andalousie et d’après 1492, Arabes, Sub-sahariens, Européens… Cette diversité trouve son écho dans les pratiques de soin :

  • Les guérisseurs juifs et les saints partagés

    Au Maroc, musulmans et juifs vénèrent parfois les mêmes saints : à Salé, le rabbin Baba, mort en 1930, attire encore les pèlerins musulmans ; à Essaouira, la famille Pinto perpétue des rituels de guérison. La notion de baraka (bénédiction) dépasse les frontières confessionnelles et irrigue les demandes de protection, qu’il s’agisse de talismans hébraïques accrochés sur les berceaux ou de recettes spirituelles mêlant herbes, écriture sacrée et invocations.

  • Le Verbe fait matière

    Autre illustration : à Fès, jusqu’à récemment, des femmes faisaient apposer des versets bibliques sur de la nourriture destinée à lever les obstacles à la fertilité. Le geste, loin d’être purement symbolique, concrétise la foi dans la puissance du texte : la parole sacrée se transforme en substance vivante, capable de soigner le corps et l’âme.


Débat et questionnements

Olivier Ralet a proposé plusieurs pistes de réflexion :

  1. Spécificités des saints-guérisseurs juifs

    Existe-t-il un profil particulier ? Comment leur lieu de mémoire devient-il un centre de pèlerinage interconfessionnel ?

  2. Talismans et transversalité religieuse

    Les amulettes en hébreu, vendues aux musulmans et aux chrétiens, montrent que la protection spirituelle n’obéit pas toujours aux frontières de la foi.

  3. Pilpoul et dissensus

    Le pilpoul — art juif de la discussion talmudique — favorise la diversité d’interprétation. N’est-ce pas l’équivalent, chez les savants musulmans, du hadith selon lequel « le désaccord entre savants est une bénédiction » ?

  4. Kabbale et soufisme

    Partagent-ils des racines mystiques communes ?

  5. Héritage systémique de Mony Elkaïm

    Peut-on voir dans l’intuition, chère à ce thérapeute de Marrakech, l’écho d’une forme de voyance juive traditionnelle ?

Le tour de table qui a suivi a permis à chacun de raconter ses propres récits familiaux, tissant un dialogue vivant entre expériences personnelles et savoirs collectifs.


Quelques enseignements-clés

  • Rencontres interconfessionnelles : les saints et les talismans soulignent la porosité des pratiques spirituelles, où l’autre n’est pas seulement toléré, mais acteur d’une même quête de guérison.

  • Puissance du texte : le Verbe, qu’il soit coranique ou talmudique, se mue en substance matérielle capable d’opérer un changement.

  • Liberté interprétative : le pilpoul et le hadith sur le désaccord valorisent l’ouverture et concourent à la vitalité des traditions.

  • Transmission vivante : du Tafilalet à Fès, en passant par les diasporas d’Israël et d’Europe, l’héritage judéo-musulman marocain continue de se répandre, réinventé par chacun de ceux qui le portent.


En conclusion

Ce séminaire a révélé combien les frontières entre soins spirituels juifs et musulmans au Maroc sont poreuses et fertiles. Loin de s’opposer, ces traditions dialoguent – dans les sanctuaires, autour d’un sachet d’herbes, ou au fil d’un talmud ou d’un tapis de prière – pour offrir à chacun une forme de salut, de protection et de sens. Le Verbe, en devenant chair et matière, nous rappelle que la spiritualité est avant tout une expérience vivante, façonnée par la mémoire des ancêtres et la créativité des praticiens d’aujourd’hui.

 
 
 

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